Voyage au cœur de la "New Jungle" de Calais (photos) - RTBF

Depuis son ouverture début avril sur une ancienne déchetterie, le camp, baptisé "New Jungle" par les Calaisiens, ne cesse de se métamorphoser. A perte de vue dans les dunes, des petites tentes ont fleuri, avec de plus en plus de cabanes de planches construites de guingois. De loin, on dirait un bidonville échoué sur la plage. Mais quand on y plonge, on se croirait par moment téléporté en Afrique.

"Nous devons tous apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons tous mourir comme des idiots" Le texte est écrit à la peinture blanche sur un écriteau qu’Alpha a planté fièrement devant son " domaine ". Alpha, c’est le plus ancien du camp. Il est arrivé ici dans les premiers, il y a 4 mois. Et il s’est installé. "Je suis fatigué de marcher, confesse-t-il. Mon rêve, comme tous les autres ici, c’était de passer en Grande Bretagne. Mais je n’ai plus le courage de tenter l’aventure".
Alpha a quitté l’Afrique il y a 10 ans déjà. Son parcours est atypique. Il a traversé toute l’Europe, vivotant de petits boulots. Réceptionniste dans un hôtel en Italie, plongeur en Grèce. Puis il a échoué ici. "Au début , je vivais dans cette cabane, explique-t-il en désignant une sorte d’abri de jardin. Puis je me suis construit une case, comme au village !". La case est bleue, coiffée d’un toit de chaume. Alpha l’a baptisée "la maison bleue sur la colline", clin d’œil à Maxime Leforestier.

Elle est flanquée d’un poulailler et d’un minuscule potager. "Ce sont les voisins qui m’apportent tout ça" dit Alpha. "Au début, ils se méfiaient de nous, mais je les ai invités à boire le thé, et depuis nous sommes devenus amis !" Comme par coïncidence une voiture s’arrête. "Salut Georges" lance Alpha. Georges, chemise à carreaux et fort accent chti est venu ramener un transistor. "Je l’ai réparé, et j’ai mis des piles !".

Quel est le prix des pâtes ?
Le voisin d’Alpha est Togolais. Semuka est arrivé ici en avril, et voyant le désœuvrement des réfugiés, il a eu l’idée de construire une école. Quelques palettes de rangement en guise de murs, 2 vasistas , un tableau noir, des chaises et des tables dépareillées, la salle de classe peut accueillir une vingtaine d’élèves et elle ne désemplit pas.
Virginie vient de Boulogne-sur-mer. Elle est l’une des vingt bénévoles qui vient donner cours aux réfugiés. "Ils sont extrêmement motivés, se réjouit-elle, ils sont très demandeurs d’apprendre le français, mais aussi l’anglais". Au programme aujourd’hui, comment se débrouiller dans un magasin : "Bonjour", "s’il vous plait", "Quel est le prix des pâtes ?".

Au centre du camp, des réfugiés font la file devant deux cabanes de jardin et une tente blanche. C’est l’hôpital de campagne ouvert il y a 5 semaines par Médecins du Monde.
Des médecins et des infirmières se succèdent. Ils sont tous bénévoles, et assurent une centaine de consultations par jour. "Il y a beaucoup de traumatologie, détaille Isabelle Bruant de l’association. Des entorses, des fractures, des mains entaillées par les fils de fer barbelé, beaucoup d’irritations oculaires à cause des gaz lacrymogènes dispersés par la police".

Les blessés de la nuit qui ont tenté de s’introduire sur le site protégé d’Eurotunnel forment une file disciplinée. Faire la file, c’est l’activité la plus courante de ces réfugiés. Ils doivent la faire pour recevoir leur repas chaud quotidien au centre Jules Ferry, un centre aéré transformé en lieu d’accueil pour les réfugiés.
Il en abrite 1.500, essentiellement des femmes et des enfants. Pour les hommes, c’est la débrouille. Deux points d’eau ont été ouverts, et 20 latrines sont installées à l’entrée du camp. Pour 3.000 personnes, c’est beaucoup trop peu.

Comme des animaux
Une camionnette rouge s’arrête sur le côté de la route. Aussitôt, une file se forme. C’est une distribution de nourriture par les bénévoles de l’association "Salam", active depuis plus de 9 ans. Marie-Agnès, la soixantaine dynamique, saute à bas du véhicule. Le coffre est rempli de fruits , de légumes, et de produits frais récupérés dans les grandes surfaces de la région. A ses côtés, Brigitte a les bras remplis de GSM. "Je vais les recharger à la maison" explique-t-elle.
Les réfugiés de la "New jungle" sont devenus sa seconde famille. D’ailleurs, tout le monde ici l’appelle Maman. Dans la vie, Brigitte est démonstratrice dans une grande surface. Mais tous ses temps libres, elle les passe ici. "Je veille sur eux, je leur apporte des petits riens pour améliorer leur confort. Un coupe-ongle, du savon. Cette semaine, j’ai lavé les tenues de Ramadan de plusieurs hommes du camp. Pour une bonne catholique pratiquante comme moi, c’est un comble !" s’étouffe-t-elle de rire. "Il faut les voir, toujours souriants, et pourtant leurs récits de vie sont poignants…".
De loin, un jeune homme nous salue. Il vient Érythrée. Il est passé par le Soudan, puis la Libye. Il a traversé la Méditerranée. La traversée a duré trois jours. Il y a encore de l’effroi dans ses yeux. Apres l’Italie, le voici en France. "Ici, il y a beaucoup de racisme, regrette-t-il. Et puis, vous voyez comment nous vivons. Comme des animaux. Si j’avais su, je n’aurais pas quitté mon pays. Mais je suis coincé maintenant. Impossible de faire marche arrière. Et toutes mes économies sont épuisées".
Comme la plupart des réfugiés, il rêve de passer en Angleterre. "Là-bas, explique-t-il, tu as droit à un logement, on trouve facilement du boulot, et il y a beaucoup d'Érythréens".

Cramponné sous un train
Le soir tombe. Les réfugiés se mettent en route par petits groupes. Ils convergent vers l’entrée du site de l’Eurotunnel, à 7 kilomètres de leur camp. Ils marchent les mains vides, pas même un sac à dos. Des cars de CRS les attendent. Dès que la nuit arrive, le spectacle devient dantesque. Les gyrophares bleus trouent l’obscurité. Des réfugiés se mettent à courir, les CRS les repoussent à coup de matraque et de gaz lacrymogène. Le manège se répète, pendant des heures. Cette nuit-là, aucun candidat à la traversée ne réussira à se faufiler au travers du filet.
"C’est désolant", nous confie ce CRS originaire de Sancerre. Il est régulièrement envoyé en mission avec sa compagnie à Calais. Leur boulot : sécuriser l’immense site d’Eurotunnel, 650 hectares, 28 kilomètres de clôture. "Toutes les nuits c’est pareil, on joue au chat et à la souris avec eux. Le site d’Eurotunnel, c’est un gruyère. Il y a des trous partout. Chaque jour, ils rafistolent, et puis les trous réapparaissent. Les réfugiés sont déterminés. Pour eux, nous ne sommes que des obstacles, comme les clôtures. Et les obstacles, ils les franchissent. C’est aussi simple que cela".
Ce policier a vu des scènes incroyables. Des réfugiés qui courent derrière les trains en marche, pour essayer de monter à bord, d’autres qui tentent de traverser le tunnel à pied. Des gosses d’à peine 10 ans cramponnés sous le ventre d’un train. "Vous imaginez ce train lancé à pleine vitesse ? Ca fait froid dans le dos". Le policier décrit aussi l’exaspération des routiers. "les migrants deviennent de plus en plus audacieux. Ils découpent les bâches ou forcent les cadenas au pied de biche ! Et si un clandestin est découvert dans un camion à l’arrivée, le chauffeur devra payer une amende de 3000 livres. Ils sont de plus en plus nombreux à vouloir se défendre tous seuls, et à faire la justice eux-mêmes. Notre boulot est alors de défendre ces réfugiés contre les routiers en colère".
La nuit s’éternise. Les candidats au départ s’épuisent. L’Eldorado britannique s’éloigne. Tous reprennent le chemin de la Jungle. Ils reviendront demain.

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