Conférence sur l'islam : Un festival de concepts creux et de grossiers amalgames.

Evénement au Collège Saint-Stanislas

"De Mahomet au printemps arabe". C'est sous ce titre aguicheur et à l'initiative de l'asbl "Art et spiritualité" que Jacques Rifflet, ancien professeur de droit et de politique internationale à l'ULB et journaliste, présenta sa conférence le mardi 15 octobre au Collège Saint-Stanislas de Mons.

Ce n'est pas tous les jours que le Collège accueille un écrivain et conférencier de renom[1], qui plus est pour parler d'une thématique d'actualité qui suscite tant de controverses. Sans vraiment connaitre cet orateur,  je me suis rué sans hésiter à la chapelle du collège à 20 heures afin d'éclaircir ma lanterne sur les printemps arabes et leurs perspectives sociales, économiques et géopolitiques. En effet, plusieurs questions restent sans réponses dans mon esprit depuis le déclenchement de ces événements il y a un peu plus de deux ans. Notamment sur la raison qui poussa l'OTAN à intervenir en Libye pour y déloger Kadhafi et non en Syrie pour El Assad. Ensuite, sur la prétendue incapacité des peuples arabo-musulmans de construire une société basée sur des valeurs respectueuses de la démocratie et des droits de l'homme. Enfin, sur les raisons ayant justifié l'éviction des Frères musulmans du pouvoir en Egypte par l'armée alors que ceux-ci ont été plébiscités par les urnes.

En guise de préambule, le professeur Rifflet précise d'emblée qu'il n'est pas venu pour vendre des livres mais pour dévoiler sa vérité sur les nouveaux rapports de force dans le jeu diplomatique mondial et son point de vue sur l'influence de la civilisation arabo-musulmane en Europe. Il surenchérit en disant que ses propos sont aux antipodes de ceux véhiculés par les grands médias nationaux et internationaux. Très belle mise en bouche, j'aime les francs-tireurs, j'apprécie les militants voguant à contre-courant de la pensée unique. J'en suis certain, cette conférence va me plaire! Pourtant, d'emblée, il nous dévoile fièrement qu'il a été un consultant exclusif d'RTL TVI pendant plusieurs années pour le journal télévisé. Pour autant que je sache, cette chaine de télévision n'est pas un média alternatif qui va à l'encontre du conformisme ambiant.

Mais qui est donc Jacques Rifflet? Le masque va bientôt tomber. Après un bon quart d'heure de laïus sur les dessous des relations économiques entre la Russie, les Etats-Unis et l'Union européenne, il enchaine sur l'influence de l'islam. Mon engouement du départ va définitivement rejoindre les abysses. Jacques Rifflet est, certes, un habile orateur sachant captiver son public et un bon pédagogue  expliquant  simplement (trop?) des faits complexes qui a priori nous échappent, mais il est également un expert utilisant une approche intellectuelle fort peu honnête basée sur des concepts creux (comme l'islamo-fascisme) et des fantasmes sécuritaires ("Si on ouvre les frontières européennes, c'est toute la Corne de l'Afrique qui affluera chez nous"). Tel un Bernard Lewis[2], Jacques Rifflet n'hésite pas à comparer "la menace islamiste qui pèse sur l'Europe" avec la montée du nazisme et le culte d'Hitler durant les années 1930. À l'écouter, nous ne sommes pas loin de la troisième guerre mondiale!

J. Rifflet est un pourfendeur de l'islam. Au nom de la laïcité et des valeurs démocratiques, il met en garde l'Europe - qu'il souhaite plus forte et indépendante des influences américaines et russes - face au cheval de Troie islamiste que représente la Turquie d'Erdogan (et son parti l'AKP prônant un retour aux traditions religieuses contre la laïcité) dans l'Union européenne. Il condamne également l'attitude électoraliste et démagogique de certains partis politiques (il cite Philippe Moureaux au PS ainsi que le Cdh d'une manière générale) d'accepter des candidats issus de l'immigration, voire des candidates voilées sur leurs listes pour doper le vote ethnique. Il n'hésite pas à faire la comparaison entre l'élection de la première femme voilée d'Europe qui a accédé au Parlement régional de Bruxelles en 2009 (il s'agit de Mahinur Özdemir, élue du Cdh[3]) et l'islamisation galopante de notre société. À l'entendre, les européennes finiront toutes avec un voile sur la tête!

Jacques Rifflet est un adepte des amalgames. À l'instar d'un Michel Houellbecq qui déclara dans le contexte du 11 septembre : « La religion la plus con, c’est quand même l’islam. Quand on lit le Coran, on est effondré »[4]. Jacques Rifflet s'enfonce dans les caricatures les plus simples. Dans un discours digne des principaux intellectuels faussaires[5] de France, il n'hésite pas à qualifier tous les musulmans de prédicateurs de la charia et de rappeler, au nom de la laïcité, que l'Islam est incompatible avec les valeurs de liberté (des femmes surtout!) et de démocratie que prônent les États européens. Comme si le déni de liberté était l'apanage de l'Islam! Un exemple? Il me suffira de citer Pascal Boniface : "Bizarrement, les seules femmes qui méritent qu'on se mobilise pour les défendre sont musulmanes. Mais qui pourrait affirmer que les violences conjugales en France sont le monopole des musulmans".[6]

Pourtant, comme le dit très bien Stephan Durand dans un article paru en 2006, l'islamisme est loin d'être unique et le diaboliser n'est sûrement pas la solution : "Unir sous une seule bannière, celle d’« islamo-fascistes », des dizaines de mouvements disparates, souvent en conflit les uns avec les autres, et ayant des objectifs très divers, permet d’enraciner le mythe d’un complot islamiste mondial, d’occulter les questions géopolitiques purement profanes, et donc de ne plus évoquer les causes qui ont entraîné la naissance de la plupart de ces mouvements. Notamment les occupations coloniales et les conflits territoriaux dont seule une juste résolution peut permettre d’assécher le terreau sur lequel prospère le terrorisme islamiste contemporain"[7].
Les musulmans seraient donc viscéralement incapables de goûter aux valeurs démocratiques et, pire, ils menacent nos valeurs judéo-chrétiennes ou laïques (c'est selon!) car plus que quiconque, les musulmans possèdent "une intense énergie prosélyte", laquelle "submerge toute tentative d’établir un échange de conceptions religieuses diversifiées"[8]. Bref, l'Islam ne s'adapte pas, l'islam s'impose, l'islam envahit, l'islam menace. Sans nuances, Jacques Rifflet condamne cette religion dont "la" marque principale est "le désert"[9], s'attaquant aux piliers de notre civilisation. Le voile, la burqa, l'édification de mosquées ne sont que des ruses destinées à tester notre résistance. L'Islam est, pour lui, par essence expansionniste et conquérant.

Le mythe de l'envahissement islamiste est prégnant dans le discours de Jacques Rifflet. Pourtant, loin d'être un raz-de-marée, ni une reconquête, l'émergence de l'Islam visible (mosquées, voile, prière de rue, etc.) ne correspond pas à un retour massif à la piété dans les communautés musulmanes. En France, la pratique religieuse stagne depuis une vingtaine d'années et même recule légèrement. Pour Samir Amghar et Patrick Haenni, "sa réapparition s’opère d’abord à partir de l’individu et non d’un projet collectif (même si elle découle d’un désir de solidarité communautaire), et elle correspond avant tout à l’envie de retrouver ses racines identitaires "[10]. Les transformations sociologiques de notre société pourraient-elles expliquer ce retour à la religion?  Jacques Rifflet n'en a cure, il est envahi par "les effets pervers de la totalitarisation"[11] qui amènent à ne regarder les sociétés musulmanes qu’à travers le prisme d’une religion immuable, en passant à côté de sa diversité.

Alors, Jacques Rifflet est-il cet intellectuel courageux dénonçant le "problème musulman" que personne n'ose signaler? Est-il un Voltaire des temps modernes risquant sa peau en disant tout haut ce que beaucoup de gens disent tout bas? Ce n'est pas mon avis, en tout cas! Il surfe juste sur la vague de l'islamophobie ambiante véhiculée par les médias et leurs "éditocrates" en soif d'audimat. Sous le couvert de la rigueur académique, et répondant selon lui à l'appel de la population qui-cherche-à-comprendre-ce-monde-musulman-qu'ils-ne-connaissent-pas, Jacques Rifflet ne nous divulgue que de vieux poncifs basés sur des vérités historiques douteuses. Il ne m'étonnerait pas de le voir bientôt parader aux côté de Mischaël Modrikamen et de son nouveau disciple récemment viré d'RTL (justement!), Luc Trullemans, lors d'une prochaine manifestation contre le "péril vert". Ce sera sans moi, c'est certain!

Mathieu Capon




[1] Jacques Rifflet est notamment l'auteur de deux livres : "Les mondes du sacré : Religions, Laïcité, Esotérisme des origines à nos jours et leur influence sur la Politique internationale" aux éditions Mols (nouvelle édition en 2009,  livre comparant les grandes religions actuelles, la voie ésotérique et la laïcité, en relation avec l'actualité politique, tiré à plus de 30.000 exemplaires (selon les propres dires de l'auteur le jour de la conférence), et son dernier ouvrage, " L'islam dans tous ses états" aux éditions Mols (2012).
[2] Bernard Lewis était le conseiller de Georges W. Bush à la Maison Blanche lors de l'intervention américaine en Irak, hostile envers l'islam et à l'origine du concept d'islamo-fascisme repris dans le discours du Président américain le 7 août 2006 et faisant des principaux mouvements islamistes du Moyen-Orient les successeurs du nazisme et du communisme.

[4] Abdellali HajjatMarwan Mohammed, "Pour une sociologie de l'islamophobie" Ou comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman », octobre 2013. http://lmsi.net/Pour-une-sociologie-de-l

[5] Pascal Boniface, "Intellectuels faussaires, le triomphe médiatique des experts en mensonge", J-C Gawsewitch, 2011. Un livre intéressant sur les "serial-menteurs", ces fameux experts qui s'affichent sur les plateaux de télévision et tiennent des chroniques à la radio ou dans la presse.

[6] Ibid., page 81.

[7] Stephan Durand, "Fascisme, islam et grossiers amalgames", le Monde diplomatique, novembre 2006. http://www.monde-diplomatique.fr/2006/11/DURAND/14115

[8] Cité dans une interview de Christian Laporte pour la Libre Belgique le 19/11/2012.

[9] Finalement c'est ce que J. Rifflet sous-entend lorsqu'il dit que : "la marque de l'Islam à ses yeux est le désert". Il se rapproche des propos outranciers d'un M. Houellbecq : "l’islam est né en plein désert, au milieu de scorpions, de chameaux et d’animaux féroces de toutes espèces. Savez-vous comment j’appelle les musulmans ? Les minables du Sahara. Voilà le seul nom qu’ils méritent […], l’islam ne pouvait naître que dans un désert stupide, au milieu de Bédouins crasseux qui n’avaient rien d’autre à faire – pardonnez-moi – que d’enculer leurs chameaux." http://lmsi.net/Pour-une-sociologie-de-l

[10] Samir Amghar et Patrick Haenni, "Le mythe renaissant de l'islam conquérant", le Monde diplomatique janvier 2010. http://www.monde-diplomatique.fr/2010/01/AMGHAR/18698

[11] Alain Gresh : "Faut-il avoir peur de l'Islam?", Monde diplomatique, juin 1997. http://www.monde-diplomatique.fr/1997/06/GRESH/49428

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