Turquie-Arménie : Un jour de commémoration qui rouvre des plaies

Le 24 avril, date de début de la déportation des Arméniens d'Istanbul, est considéré à ce titre comme le jour du déclenchement du génocide arménien, que l'Etat turc refuse toujours de reconnaître. La presse turque reste très divisée sur cette question.

24.04.2012 | Pierre Vanrie | Courrier international


"Le combat pour convaincre l'opinion internationale qu'il n'y a pas eu de génocide est perdu parce que les Arméniens ont déjà réussi à gagner à leurs thèses la plus grande partie de l'opinion mondiale", estime le journaliste Mehmet Ali Birand estime dans Posta . A l'occasion de la parution de la traduction turque d'un livre reprenant la vision allemande des événements de 1915, M. A. Birand s'interroge sur l'histoire officielle turque. "Lorsque vous lisez ces documents, et si vous vous mettez dans la peau de quelqu'un qui découvre cette problématique pour la première fois, vous ne pouvez pas ne pas croire à la thèse du génocide. Et même si vous vous êtes renseignés sur ces événements avec des documents reprenant le point de vue turc, vous ne pouvez qu'être troublés." Et Birand de reprocher aux autorités turques de ne pas avoir réalisé un vrai travail de publication d'archives sur cette question sensible. "Est-ce parce que vous n'avez pas trouvé de documents suffisamment crédibles appuyant vos thèses à l'extérieur que vous vous êtes contentés de publier des archives turques ?"

L'éditorialiste turco-arménien Yetvart Danzikyan écrit dans Radikal toute la difficulté qu'il y a pour un Arménien de Turquie de célébrer le 24 avril alors que la veille, le 23 avril, est une fête officielle turque importante (fête de la souveraineté nationale et fête des enfants). "A chaque 23 avril c'est la même chose. Notre conscience nous pousse à parler du 24 avril. Ensuite, on s'interroge sur l'opportunité de le faire un 23 avril. Gâcher l'ambiance alors que la République turque célèbre la fête des enfants ainsi que l'anniversaire de la fondation de son premier Parlement n'est pas chose aisée. A fortiori dans un pays où règne un consensus très large et très oppressant sur le déni de cette question [arménienne]."

"Et pourtant, c'est nécessaire, estime Yetvart Danzikyan, au moment où les maîtres de ce pays mettent tout en œuvre pour qu'Obama ne prononce surtout pas le mot 'génocide'. C'est nécessaire lorsque le gouvernement turc dit, chaque fois que l'on aborde le sujet, que 'c'est aux historiens de décider' ajoutant ensuite 'mais de toute façon un tel événement n'a pas eu lieu'. C'est nécessaire lorsque le procès sur la mort douteuse d'un jeune soldat turc d'origine arménienne, qui a eu lieu précisément un 24 avril [2011], n'avance pas. C'est nécessaire lorsqu'il y a dans ce pays un système judiciaire qui ne conclut pas à l'existence d'une organisation derrière les assassins de Hrant Dink [journaliste turco-arménien tué le 19 janvier 2007] bien qu'ils aient bénéficié d'un soutien évident de la part de l'appareil d'Etat."

Agos, hebdomadaire turco-arménien d'Istanbul, exprime son inquiétude par rapport à un sursaut nationaliste turc au fur et à mesure que l'on se rapproche de 2015 où sera célébré le centième anniversaire du génocide arménien. "La haine anti-arménienne exprimée en février dernier lors du meeting en souvenir des massacres commis contre les Azéris [par des soldats arméniens au Karabakh en 1992], les conférences sur le 'mensonge de 1915' données dans les écoles, les préparatifs en terme de propagande en vue de 2015, tout cela nourrit un ressentiment nationaliste qui sera exacerbé par les pressions extérieures. Tant que les Turcs et les Arméniens laisseront des pays tiers s'emparer hypocritement de cette question et tarderont à la résoudre entre eux, cette tension inquiétante ne fera qu'augmenter."

C'est dans ce contexte que la journaliste Hilal Kaplan, du quotidien progouvernemental Yeni Safak, qui porte le foulard et se revendique du féminisme islamique, a appelé, au nom de ses conceptions philosophiques et religieuses, à participer au rassemblement du 24 avril 2012 à 19 h 15 sur la place Taksim, à Istanbul, pour honorer la mémoire des Arméniens déportés en 1915. D'autres journalistes turcs de Taraf et de Radikal ont également relayé cet appel.

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