Pourquoi la Chine tient-elle tant au Toit du Monde ? La Libre Belgique 26/03/2008

Revendications nationalistes et arguments géostratégiques l'expliquent.





S'il est une évidence en ces temps de troubles, c'est que la Chine ne lâchera jamais le Tibet. Le Dalaï Lama, qui ne réclame plus l'indépendance mais une autonomie, l'a bien compris. Pourquoi, en effet, Pékin déciderait-il de s'amputer de la sorte, alors que sa mainmise sur le Toit du Monde, outre qu'elle répond à une fierté nationale, lui assure des avantages géostratégiques ? Explications.



1.  Le choc des géants. Le Premier ministre chinois Wen Jiabao l'a rappelé la semaine dernière : "Le Tibet constitue une question sensible" entre Pékin et Delhi. Il l'est à plusieurs titres. L'Inde accueille près de 100 000 réfugiés, dont le Dalaï Lama et le Karmapa Lama (à la tête de l'école des bonnets noirs), ainsi que le gouvernement et le Parlement tibétains en exil. Dans la lutte d'influence qui oppose les deux pays - ils se disputent toujours l'Arunachal Pradesh et l'Aksai Chin - le contrôle du Toit du Monde se révèle primordial pour la Chine, convaincue que, si elle n'y exerçait son emprise, l'Inde s'en chargerait aussitôt. Le Tibet, qui servait autrefois de tampon entre les Britanniques, la Russie et la Chine, offre à cette dernière une plate-forme idéale d'où dominer l'Inde et l'Asie.



2.  Les revendications historiques et nationalistes. Quand le Tibet est-il devenu partie intégrante de la Chine ? Les sources chinoises, elles-mêmes, n'y apportent pas de réponse unanime. La dynastie des Qing (1644-1911) avait en tout cas bien compris l'importance politique du Tibet. Si les dalaï lamas guidaient spirituellement les empereurs en échange de protection, les Tibétains n'y voyaient cependant guère de relation de subordination. L'effondrement de la dynastie mandchoue, qui avait envoyé l'armée en 1910 à Lhassa, permit au XIIIe Dalaï Lama de proclamer l'indépendance en 1913. Mais quand Mao érigea la République populaire de Chine, il se donna les moyens d'imposer sa souveraineté et son idéal de société sur le Tibet, en l'envahissant en 1950.



Aussi bien les nationalistes que les communistes avaient pour ambition de faire coller les frontières de l'empire mandchou à celles d'une Chine peuplée de Mandchous, de Hans, de Mongols, d'Ouïghours et de Tibétains. Amputer la Chine du Tibet historique reviendrait à lui supprimer un quart de sa superficie ! Et que resterait-il du pays si les velléités indépendantistes de la Mongolie intérieure et du Turkestan oriental s'affirmaient plus violemment ?



3.  Le contrôle de l'eau. Si les géologues ont découvert de nouvelles réserves (cuivre, fer, zinc, plomb, uranium, etc.) au Tibet, les ressources minières seraient moins importantes que les sommes dépensées jusqu'ici par les Chinois dans la région. L'or bleu en revanche se révèle particulièrement indispensable. Source de sept grands fleuves (Indus, Mékong, Yang-tsé, fleuve Jaune, Salouen, Brahmapoutre et Sutlej), le Tibet fait figure d'immense château d'eau, permettant à la Chine de contrôler l'amont des eaux irriguant l'Inde, le Pakistan, le Bangladesh, la Birmanie, la Thaïlande, le Laos, le Cambodge et le Vietnam. Dans le contexte du réchauffement climatique, qui lui impose de réduire ses émissions de gaz à effet de serre, Pékin a ainsi la possibilité de dévier des cours vers des zones asséchées et de se lancer dans de gigantesques projets hydroélectriques, indispensables à son développement. La Chine a d'ores et déjà fait part de son intention de tripler ses capacités en la matière d'ici à 2020, non sans alarmer les pays en aval, d'ailleurs, qui craignent une baisse du débit et de la qualité des eaux.



Sabine Verhest

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