"Menace sur la Congo" Article du Vif/L'Express 25/06/2010

Dans quinze ans, le Congo devrait compter plus de 110 millions d'habitants, pour 65 millions aujourd'hui. Or les trésors du pays - terres, eaux, forêts - sont déjà gravement menacés par la pression démographique. Quelles solutions ?



Au début des années 1920, le Congo belge comptait, selon les toutes premières estimations démographiques fournies par la colonie, quelque 10 millions d'habitants. En 1960, la barre des 14 millions était à peine atteinte. Le « boom » commence peu après l'indépendance, mais la démographie ne devient galopante qu'à partir des années 1980 : 40 millions de Zaïrois en 1984, 55 millions à la chute de Mobutu, autour de 60 millions de Congolais en 2005 - selon la Commission électorale indépendante - et quelque 65 millions aujourd'hui. Au rythme de croissance actuel, soit plus de 3 % par an, le pays devrait compter entre 110 et 120 millions d'habitants en 2025.



Toujours plus de pression démographique

La pression démographique sur l'environnement va donc fortement s'accentuer ces quinze prochaines années. Des spécialistes estiment dès lors que le bassin du Congo et son complexe fluvial sont en danger de mort. La terre, l'eau, la forêt, trésors du pays, sont, en fait, déjà gravement menacés par l'activité humaine. Selon la FAO, organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, le bassin du Congo - qui déborde des frontières de la RDC - enregistre chaque année une perte d'environ 1 million d'hectares de forêt. Les causes principales de la réduction progressive de la couverture végétale sont connues : l'agriculture itinérante sur brûlis, l'exploitation du bois de chauffe et la déforestation liée au commerce du bois.



Changer les pratiques agricoles

« Après des décennies de négligence dans le soutien apporté au secteur agricole, il est urgent de sensibiliser les paysans congolais à la protection de l'environnement et de la biodiversité », estime Alain Huart, conseiller technique belge auprès du ministère congolais de l'Agriculture (1). Sa mission ? Tisser des liens entre l'administration et la société civile pour encourager une relance durable de l'agriculture. « La richesse du Congo, ce n'est pas seulement le diamant, l'or et le cuivre, assure-t-il. C'est aussi l'agriculture, rempart efficace contre la pauvreté et meilleur moyen pour le Congo de se libérer de sa dépendance alimentaire extérieure. Il faut néanmoins encadrer les paysans pour qu'ils changent radicalement de pratiques. »

Les rapports des experts internationaux appellent à l'émergence d'une agriculture écologique et diversifiée, qui réponde aux besoins locaux et prévienne les conséquences du réchauffement climatique. Objectifs : protéger le sol de l'érosion, rétablir ou augmenter sa fertilité.



Feux de brousse et cultures sur brûlis

Le défi est immense. « Les savanes du Congo, dans le sud du pays, sont les régions qui comptent le plus de feux de brousse au monde, note Huart. Au Katanga, le gouverneur a dû les interdire. Car ces feux détruisent la couche d'humus. Mais la pression des centres urbains, grands consommateurs de charbon de bois destiné à la cuisine, est très forte. »

De même, en zone forestière - Province Orientale, Equateur, Maniema, nord du Bandundu -, l'agriculture itinérante sur brûlis est une pratique traditionnelle dévastatrice. « Le principe est le suivant, explique le conseiller agricole : le paysan congolais brûle un hectare de bois, y cultive le manioc, les légumes ou la banane pendant trois ans, puis, faute d'engrais, voit chuter brutalement le rendement de la terre. Il part alors ravager un autre coin de forêt, puis un autre encore... Cette itinérance est non seulement néfaste pour l'environnement et la biodiversité de la forêt congolaise, mais elle engendre aussi des corvées pour la femme, obligée d'effectuer de longs déplacements pour transporter l'eau, le manioc. La priorité est de stabiliser le front forestier. Il faut donc sédentariser et encadrer le paysan, pour qu'il intensifie sa production sur des espaces déjà défrichés. »



Moins d'arbres, moins de pluie

Quand la forêt disparaît, les précipitations diminuent. L'équilibre climatique du continent tient à la présence de cette énorme éponge qu'est la forêt congolaise. « En Afrique, 80 % des précipitations sont liées à l'évaporation de l'humidité produite par la forêt, précise Huart. A elle seule, la RDC reçoit 40 % de toute la pluie qui tombe sur l'Afrique au sud du Sahara. La sécheresse, conséquence du changement climatique, réduit les capacités de production agricole. »

Deuxième « puits de carbone » au monde, la forêt congolaise suscite, en outre, la convoitise des exploitants forestiers légaux et illégaux. Dès 2002, Kinshasa a décrété un moratoire sur l'octroi de concessions, mais il n'a pas été respecté. En cause, la corruption, les conflits armés et la mauvaise gestion. Pour atteindre les essences prisées, comme le wengé ou le sapelli, les exploitants tracent des routes de plusieurs mètres de largeur, fendant la forêt sur leur passage. Une forêt où vivent des communautés pygmées et où se reproduisent éléphants, singes bonobos, oiseaux... Une fois la concession épuisée, certaines compagnies laissent la forêt en friche, dévastée pour longtemps. D'autres respectent les règles, notamment le label FSC. Il garantit que le bois a été coupé sans préjudice pour les populations locales et que les coupes proviennent de forêts gérées durablement.

Sauvegarder la forêt ou désenclaver le pays ?

« Le taux de déforestation est cinq fois moindre au Congo qu'en Amazonie, tempère Alain Huart. Car le pays est enclavé et le débit de sortie des grumes par le port de Matadi est relativement faible. La construction de routes, prévue par la Chine et les bailleurs de fonds internationaux, risque toutefois de changer la donne. Cela dit, sans désenclavement, pas de développement du pays ! »

Ce dilemme préoccupe la Belgique. L'un des axes phares de la coopération belge au Congo est précisément la construction de routes, de ponts et de bacs. « Les premières marchandises transportées sur les routes du Congo sont le bois et le charbon de bois, constate le député CDH Georges Dallemagne. Lorsqu'on rouvre les routes, on aggrave la situation, allant parfois jusqu'à une déforestation définitive. »

Charles Michel, ministre MR de la Coopération, reconnaît que le désenclavement « permet à certains malintentionnés de gérer illégalement les ressources en bois ». Mais il juge les travaux en cours indispensables au décollage du secteur agricole. Seule solution, selon lui, pour la coopération bilatérale, « envisager avec les autorités nationales et provinciales congolaises des programmes de reboisement ». Serait-il donc déjà trop tard pour préserver la forêt primaire ?

(1) Alain Huart vient de publier, en collaboration avec Chantal Tombu, Congo, les 4 trésors (Editions Weyrich Africa), un nouvel ouvrage sur les richesses naturelles du pays. Source : OLIVIER ROGEAU. Le Vif L’Express, 25 juin 2010.

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